samedi 18 juillet 2009

Une leçon de voyage

Voilà bientôt un an que la marque Louis Vuitton (groupe LVMH) a lancé une campagne publicitaire sur le thème du voyage. Malles, valises et sacs sont donc de sortie sous l'objectif d'Annie Leibovitz, rien de moins. Cette série cible uniquement les bagages et n' a pas les mêmes objectifs que la campagne pour les sacs à main présentés par Madonna.

On fait appel ici à des valeurs sûres , portées par des personnages quasiment mythiques. Hommes politiques, sportifs internationaux,musicien, actrice, réalisateurs, acteur, astronautes... mais pas n'importe qui. La Légende est à portée d'objectif. Le mythe passe par Vuitton, parce que Vuitton se réclame d'un mythe.

Décryptage :



Cet homme, à l'arrière d'une limousine spacieuse, (un taxi ?) a posé près de lui un petit sac monogrammé laissé négligemment ouvert. Quelques journaux et magazines dépassent. L'actualité est donc présente. Le monde à portée de main. "Le découvrir ou le changer" souligne le texte. Le véhicule a emprunté une rue déserte. Banlieue ? Frontière ? La voiture longe un mur sans fin. Vous l'aviez reconnu ? Il s'agit de Mikhaïl Gorbatchev. Quant au Mur...
Une locomotive lance un jet de vapeur sur le quai. On devine la marquise d'une grande gare urbaine. Référence à la gare Saint Lazare peinte par Monet ? Au pied d'un projecteur de cinéma, Catherine Deneuve, fidèle à son personnage : belle, énigmatique s'est assise sur deux valises. Le Temps n'a décidément pas de prise sur cette femme.Très jolies jambes croisées, escarpins, élégance du trench noir ceinturé au col relevé. Très cinématographique, tout ça ! Mise en abyme : nous sommes donc dans un film. Femme en transit, entre deux vies ? Attente d'un homme....
Chambre d'un hôtel cossu. Keith Richards a jeté sur les deux lampes des foulards sombres gothiques, afin de tamiser la lumière. C'est voulu. Cela permet un inquiétant clair-obscur. L'un deux est imprimé de têtes de mort et au pied de la lampe, un crâne posé vient appuyer cette référence aux vanités chères à la peinture du XVIIème siècle. Il faudrait presque, faisant abstraction du guitariste des Rolling Stones, envisager cette scène comme une nature morte. "Still life", en anglais. le décor est planté avec minutie. Rien n'est laissé au hasard : porte entrouverte vers une source lumineuse, livres empilés, le fauteuil qui accueille un service à thé posé sur un plateau. "Old England "en diable, et pourtant ! Keith se sert de son étui à guitare (Fender ? Gibson ?) griffé Vuitton, comme d'une table. Tasse de thé pour quelques gorgées entre deux rifs, un livre tenu ouvert par une loupe. Presbyte, le Keith ? La violence, et la révolte du "bad boy" déclinée dans un décor luxueux se sont patinées mais n'ont surtout pas déclaré forfait. Au contraire ! C'est la seule présence, -et quelle présence ! - de la pop star qui les porte : peau ravagée, maquillée, vêtements, bijoux en nombre. Saturation des codes du rocker qui a (sur)vécu. Mais d'où vient la lumière qui éclaire son visage et sa main droite ? La distribution ombre/clarté révèle une profondeur de champ très élaborée. Un chef-d'oeuvre d'équilibre. Bravo !

Chambre d'hôtel cossue encore. Même chaise qui signe un certain standing. Mais ici la scène baigne dans une douce lumière. Les deux sacs "cabine" entrouverts laissent apparaître ... des vêtements que l'on imagine jetés à la hâte. Deux amoureux (Steffi Graf et André Agassi ) pris en flagrant délit de tendre fugue. Ils s'enlacent et s'abandonnent, le bonheur est là. Sur la table près d'eux la vie les sollicite : portable, clefs de voiture, journal, appareil photo, agenda ouvert. Mais le reste du monde peut bien attendre. Ils s'aiment. C'est une parenthèse.



Nous sommes dans la pampa près d'un point d'eau. Ambiance "Out of Africa", déplacée peut-être, en tout cas, l'exotisme est au rendez-vous. Le travail est supposé l'être aussi. Francis Ford Coppola, tel un vieux lion est assis au milieu de nulle part sur un improbable fauteuil de rotin. Table basse, tabouret, le décor sent bon la reconstitution. C'est voulu. A ses pieds, sa fille Sofia s'est allongée, les pieds nus : un comble, dans cette végétation ! Attentive, on peut l'imaginer, écoutant les conseils du "vieux". Dans le sac sont rangés des documents écrits. Manuscrits, scénarios, et les agendas ne sont pas bien loin. Nous assisterions donc à une séance de travail entre les deux réalisateurs, une sorte de conférence au sommet entre deux grands. La présence du sac est presque anecdotique tant le décor s'impose, et puis, que font dans cet endroit les personnages dont la pose artificielle et invraisemblable ne trompe personne ? Ici LVMH vend de l'écologie.


Plage de sable blanc, dunes, végétation de bord de mer. Sean Connery s'est négligemment assis sur un ponton de bois appuyé contre un poteau. Elégance décontractée du vieux baroudeur très chic. Ne fut-il pas l'incarnation du célèbre agent 007 ? Bond, James Bond ! Ursula Andress vêtue de son mythique bikini blanc est sur le point de sortir de l'eau, armée de sa dague sur la hanche. Mais ici, l'aventurier a déposé son sac, son regard se perd au loin. Docteur No est en tous points derrière lui. La légende semble opérer encore, mais le temps a passé.

Nous sommes sur les hauts plateaux du désert de Californie, Buzz Aldrin, deuxième homme à avoir marché sur la lune, Jim Lovell, commandant de la célèbre mission Apollo 13 et Sally Ride, première Américaine à avoir été dans l’espace, regardent dans la même direction. Le vieux pick-up rouillé s'est arrêté et les trois héros de l'espace contemplent le spectacle de cette nuit claire, étoilée, dans laquelle la lune prend toute son intensité . Ils reviennent de loin. De là, précisément. La légende de l'Ouest américain est au rendez-vous. Vestes en jean, cuir, Stetson...une gourde dépasse du sac. Les visages sont violemment éclairés. Mais regardent-ils vraiment la lune ? ... Ou bien les puissants sunlights que la photographe a disposés juste face à eux. Pour le quarantième anniversaire du premier pas sur la lune, un hommage de Vuitton, un peu trop "fabriqué" à mon goût.

C'est définitivement la photographie du ténébreux Keith Richards qui me parle le plus. De l'épaisseur !

Photos d' Annie Leibovitz.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

Chère Alluria,
Une fois de plus, je constate que nos goûts diffèrent...et c'est tant mieux !
La photo, ou plutôt l'homme qui me parle le plus est le très élégantissime écossais Sean Connery.
Vive la diversité du genre humain !
Miss O

alluria a dit…

@Miss O
Eh ! oui, l'élégantissime Sean est parfait, mais la photographie est plutôt fade par rapport à celle de Keith pour laquelle Annie Leibovitz fut, je trouve, assez inspirée pour y faire transpirer le côté sulfureux du rocker. Je l'imagine très touchée par celui-ci, donc géniale.
Evidemment, je parlais des photographies et non des personnes.